« Enfants de boches » Par Blandine GROSJEAN "Libération"
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Description :
« Enfants de boches » « …
Megrit, petit village breton, début des années 50. Tous les dimanches,
à la sortie de la messe, le secrétaire de mairie réunit la population.
Ce jour-là, il appelle auprès de lui un garçonnet de 10 ans et
s'adresse aux habitants : «Est-ce que vous connaissez, vous autres, la
différence entre un Boche et une hirondelle ?» Personne ne répond. «Je
vais vous le dire. Une hirondelle, quand elle a fait ses petits en
France, elle les emmène avec elle quand elle s'en va, alors que le
Boche, lui, les laisse sur place.» Daniel Rouxel raconte que ce
dimanche il a beaucoup pleuré et a pensé mettre fin à ses jours.
«J'étais l'attraction. Alors ma grand-mère m'interdisait de sortir,
elle m'enfermait dans le poulailler, toute la nuit avec un cadenas.
Là-dedans, dans le noir, j'éprouvais une peur terrible.» Refoulé.
Des « têtes de Boche », comme l'appelait l'instituteur de Daniel, ou
des « bâtards de Boches », il y en a eu 200 000, nés de liaisons
amoureuses entre des jeunes Françaises et des soldats allemands durant
l'Occupation. Ils sont aujourd'hui âgés de 57 à 63 ans, et plusieurs
dizaines d'entre eux ont accepté de se confier à Jean-Paul Picaper (1).
Certains, tel Daniel Rouxel, ont toujours été en contact avec leur
famille allemande. Les grands-parents allemands de Raymond ont
contribué à son éducation en versant discrètement de l'argent à sa
grand-mère maternelle. D'autres enfants ont passé une partie de leur
vie à rechercher les traces d'un géniteur dont ils connaissaient à
peine le nom. Tous ont vécu de longues années dans la honte et la
culpabilité, martyrisés parfois par leur propre famille qui leur
faisait expier la «faute» d'une fille. Certains ont été placés dans des
familles d'accueil lorsque leurs mères purgeaient des peines de prison
pour indignité nationale. Mise en pension chez les bonnes soeurs par un
grand-père à qui elle faisait horreur, Jeanine en est sortie à 10 ans.
Elle pesait 18 kg et personne ne lui avait appris à lire. Les châtiments infligés aux mères (2) n'ont pas épargné les enfants. Dans l'après-guerre, il ne faisait déjà pas bon être né de père «inconnu». Avoir les cheveux blonds et les yeux bleus fut pour ces enfants le tatouage indélébile d'une infamie, celle de la «collaboration horizontale». Des mères se sont mariées, parfois mal, pour donner un père à leurs «bâtards». Ils n'ont découvert que très tard leur véritable origine. A 50 ans pour Anita la Savoyarde, dont la mère a vécu jusqu'à sa mort sous le joug d'un tyran qui leur a fait payer le péché originel. Juste après une tentative de suicide, à 18 ans, pour Anita la Provençale. Elle se croyait la fille du républicain espagnol qui l'a élevée et protégée d'une mère distante … » Par Blandine GROSJEAN Libération LIENS UTILES : |